Kerozene affirme une deuxième fois la plume trempée du réalisme le plus cru de l’autrice belge Adeline Dieudonné. Une galerie de portraits fenêtrés qui s’entortillent autour de la clignotante station-service.
23h12. Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise.
Kerozene s’ouvre sur ces deux phrases en une comédie humaine des plus burlesques et pourtant des plus humainement cruelles.
Kerozene, ce n’est pas le pire de l’humanité, ce ne sont pas des atrocités inimaginables. Juste la réalité, la vraie vie si on se rappelle le premier roman d’Adeline Dieudonné, dans tout ce qu’elle comporte de moins glorieux. Pas de détour ni de jolie formule, on casse tes petits clichés bien ancrés, tout le monde en prend pour son grade.
Les couples qui font semblant de s’entendre, l’exploitation de femmes immigrées, les dauphins ou les chevaux, les enfants ou petits-enfants qui doivent gérer tant bien que mal la vieillesse de leurs proches, les vices inavouables que l’on porte pour supporter la vie, le terrorisme, le choix de disposer de son corps comme on l’entend…
Tant de sujets de société abordés sous un angle qui reste généralement sous le tapis, loin d’être étalés comme toutes les inepties qui se targuent d’aborder les sujets essentiels. Kerozene n’est pas le roman « feel good » de l’été. Il est là pour nous rappeler qu’on ne peut pas se dérober à cette humanité qui est aussi la nôtre. Que même si ce n’est pas sous notre toit, ça existe, et que c’est à nous aussi de transmettre le remède aux clichés et à la superficialité grandissante.

Et je crois que c’est ce côté brut, trivial, qui m’a tenue en haleine, parce que j’ai vraiment eu le sentiment de ne pas lire ce qu’on nous sert des milliers de fois dans les romans. Toutefois, le style ne m’a pas marquée par son originalité littéraire ni sa dextérité, avec des personnages aux voix similaires et aux raisons d’agir assez floues. Mais je savais ce que je venais chercher chez Adeline Dieudonné, et je n’ai pas été déçue, même si la Vraie Vie m’avait davantage conquise avec son côté plus candide et moins trash.
Si la station-service est un prétexte quasi littéraire pour tisser le destin de tous les personnages entre eux à la manière d’une comédie humaine contemporaine, elle n’aura guère joué le rôle d’intrigue. Son mérite revient à avoir ouvert et refermé le quotidien entrebâillé de toutes ces vies à la manière de nouvelles, à nous avoir permis, pour certains, certaines situations, d’ouvrir les yeux et de sortir de la caverne.